Mr Todd ! Protectionnisme !

 

 

Par l'expression "protectionnisme de misère" nous décrivons la façon dont un contexte inégalitaire  génère inévitablement des tensions protectionnistes, comme l'annoncait D. Rodrik (3). Ces tensions émanent-elles de la majorité de la population?   D. Cohen (1997) n'y croit guère et redoute plutôt un scénario à la Tocqueville:  la  redistribution en faveur des perdants de la mondialisation est d'autant plus difficile que les gagnants sont les plus nombreux, comme si, par une tyrannie de la majorité (ici les consommateurs),  la démocratie se retournait contre elle-même.

Réconcilions Todd et la mondialisation

L'accélération des délocalisations dans la période récente pourrait constituer une menace supplémentaire pour l'emploi et la rémunération relative des moins qualifiés. Mais ce phénomène est aussi une bonne nouvelle : il traduit une montée en gamme globale des économies du Nord et une participation plus intense du Sud à l'économie mondiale puisque leur avantage comparatif est désormais directement intégré à nos exportations. Encore faut-il accompagner ceci par des politiques publiques adéquates. Lorsque Monsieur Todd appelait de ses voeux il y trente ans la mise sur pieds d'un vaste secteur d'emploi socio-éducatifs abrité du commerce international il l'opposait mécaniquement à la mondialisation. L'exemple des pays égalitaires et performants d'Europe du Nord, dans lesquels l'insertion internationale est associée à la constitution d'un tel secteur public ou para public qui propose des rémunérations plus attractives qu'en France, montre qu'il est possible de  réaliser les souhaits de notre bouillant historien sans se déconnecter de la mondialisation.

(1) S. Mill, comme David Ricardo, avait pronostiqué que l'économie atteindrait un plafond en termes de revenu par habitant en raison des rendements agricoles décroissants mais il y voyait une occasion pour les hommes de s'adonner à des activités extra-économiques à ses yeux bien plus enrichissantes.

(2) Protéger les secteurs intensifs en main d'oeuvre non qualifiée accroit leur rémunération relative et pourrait décourager les investissement éducatifs, selon la théorie du capital humain.

(3) E. Todd a parfois des lueurs lorsque par exemple il critique le comportement de marge de certaines entreprises de vêtement qui ne répercutent pas les bas prix de leurs fournisseurs étrangers sur les prix à la consommation. La voie réformiste s'ouvre à l'historien : il découvre les effets de compensations du commerce et plutôt que d'interdire ou de taxer les importations il en viendrait même  à demander que l'on responsabilise ces entreprises. El Mouhoud Mouhoud (2006) a décrit ce comportement et montré en quoi il contribue à rendre l'effet net des délocalisations sur l'emploi négatif.

4) Aux Etats-Unis des préjugés raciaux peuvent limiter la redistribution (voir par exemple l'étrange opposition au projet de réforme de l'assurance maladie proposé par l'administration Obama)

Artus P.,  2001, La Nouvelle Economie, La Découverte.

Aussilloux V., Benaroya F., 2001, Commerce, Emploi, Inégalités, Cahier Français, n°305, Nov-Decembre.

 Bivens J., 2006, Trade Jobs and wages.

Cardebat J. M., 2002, La Mondialisation et l'Emploi, La Découverte.

Cohen D., 1997, Richesse du Monde, Pauvretés des Nations, Champs Flammarion.

Fitoussi J.P.  Rosanvallon P., 1997, Le Nouvel Age des Inégalités.

Feenstra R.C, Hanson G., 2002, Global production sharing and rising inequalities: a survey of trade and wages, Handbook of International Trade.

Insee, 2000, Les Jeunes, Portrait Social.

Krugman P. R., 2008, Trade and wages revisited,

Messerlin P. A., 2001, Measuring the cost of protection in europe", Institute For International Economics, Washington DC.

El Mouhoub Mouhoud, 2006, Mondialisation et délocalisation des entreprises, La Découverte.

Piketty T., 1997, L'Economie des Inégalités, La Découverte.

Rodrik D., 2007, Sensible words from Paul Krugman (Blog).

Sandretto R., 1994, Rémunérations et Répartition du Revenu. Hachette.

Todd E., 1979, Le Fou et le Prolétaire, Robert Laffont.

Todd E., 2008, Après la Démocratie, Gallimard.

 

A propos d'Emmanuel Todd (1): Le libre-échange conduit-il à étouffer la demande intérieure? | 21 août 2009

 http://www.blogg.org/blog.php?idblog=81005&tag=Emmanuel+todd

Nous inaugurons une série de trois billets consacrés aux réflexions économiques de l'historien et démographe Emmanuel Todd. Usant du droit que Gilles Deleuze reconnaissait à tout un chacun de parler depuis "son point d'incompétence", Todd aborde très fréquemment les questions d'économie internationale au point que la critique du libre-échange est devenue son cheval de bataille. Sur tout autre sujet notre historien se plaît à énoncer brutalement des idées nuancées mais dès qu'il aborde l'économie le fond et le ton se rejoignent.

Mr Todd prétend énoncer des vérités qui ne se trouveraient "dans aucun manuel d'économie". Cela pique notre curiosité, et nous brûlons de découvrir la teneur de tels enseignements cachés. L'une de ses idées favorites tient en ces quelques mots : le libre-échange détruit l'emploi parce qu'il conduit inévitablement à l'austérité salariale et à l'atonie de la demande intérieure. Reprenant un argument d'inspiration keynésienne, Emmanuel Todd considère que l'ouverture d'un pays aux importations affaiblit l'incitation des entreprises à augmenter les salaires dans la mesure où la demande des consommateurs locaux s'adresse de moins en moins à elles et de plus en plus à leurs concurrentes étrangères. Parce qu'elle dissocie lieu de consommation et de production la mondialisation conduit les entreprises à privilégier l'aspect coût du salaire au détriment de sa dimension pouvoir d'achat et demande. Examinons la pertinence d'une telle assertion, en nous appuyant sur les évolutions contemporaines du commerce international et quelques travaux récents.

Si le raisonnement de Mr Todd était correct nous devrions observer une corrélation négative entre le taux d'importation global et la part des salaires dans la valeur ajoutée et nous pourrions nous attendre à ce que la part du revenu distribuable dévolue aux salariés stagne à un niveau anormalement bas. Or rien de tout cela n'est vérifié. Non seulement la part des salaires dans la valeur ajoutée nette est stable depuis vingt ans mais  a atteint son seuil historique (1). De plus la règle de partage de la richesse est exactement la même que celle que l'on observait en 1968, date à laquelle le taux d'importations de l'économie française était pourtant bien plus faible que maintenant (2). Remarquons que la part des salaires dans la valeur ajoutée avait  progressé au cours des années soixante-dix, période qui  vit le taux d'ouverture de l'économie française croître en même temps que notre  pays affichait le taux de croissance annuel moyen le plus élevé des pays industrialisés. Ajoutons que le profil des salaires évolue de façon contradictoire à la théorie intuitive de Mr Todd. Des travaux récents ont montré que la propension à épargner des ménages augmente avec le revenu, or ceci n'empêche nullement les salaires de la moitié la mieux rémunérée des français d'augmenter, de déciles en déciles,  à un rythme exponentiel. 

L'argumentation de Mr Todd n'est-elle pas de surcroît un peu datée?. Il ne semble pas tenir compte du contrôle que les firmes multinationales exercent sur les flux commerciaux. A l'heure actuelle, la majorité des biens et services étrangers que nous consommons ne franchissent pas les frontières mais sont fournis par des filiales de multinationales implantées sur place. Leur activité figure dans le PIB français au même titre que celle des entreprises nationales résidentes. Dans le meilleur des cas leurs ventes s'ajoutent à ces dernières et, en dans le cas d'une substitution, n'ont pas d'effet sur le montant global de la demande intérieure. Notons que la main d'oeuvre de ces unités productives est le plus souvent recrutée localement et que les salaires y sont plutôt supérieurs à la moyenne nationale. Ajoutons que l'essor du commerce intra-firme n'autorise plus à assimiler l'ensemble des importations à une "fuite" dans le circuit macro-économique puisqu'une part croissante de celles-ci sont en réalité effectuée par des filiales des firmes nationales et correspondent à un supplément d'activité.  

Mr Todd utilise l'exemple de l'Allemagne pour illustrer les méfaits du libre-échange qu'il confond à dessein avec la stratégie d'extraversion à marche forçée qu'a menée ce pays ces dernières années (Mr Todd a-t-il constaté que l'excédent commercial allemand a permis à la France de maintenir une demande intérieure supérieure à sa production? (3)).  Il est vrai que durant les années 2000 l'Allemagne a diminué ses coûts salariaux unitaires et que cela a provoqué la stagnation de la consommation des ménages mais il n'y a rien que puisse affirmer Mr Todd qui ne se trouve dans les manuels d'économie  puisque nous lisons dans le bon vieux "Krugman Obstfeld" une critique de ce type de stratégie (4) : d'un côté la volonté de renforcer les avantages comparatifs par une diminution des coûts unitaires provoque une demande excessive de main d'oeuvre et une hausse des salaires, ce que l'on constatait dès avant la crise à travers la capacité des syndicats allemands à obtenir des concessions salariales, d'un autre côté l'obtention d'un solde commercial positif,  à niveau d'épargne donné, implique une baisse de l'investissement qui n'est pas soutenable pour l'économie. Si la théorie économique affirme que l'ouverture est une meilleure situation que l'autarcie elle ne dit pas que toute augmentation des exportations est forcément un bien. Sans le savoir Mr Todd redécouvre la critique virulente qu'avait formulée Adam Smith en 1776 à l'encontre des mercantilistes: puisque l'exportation représente le coût de l'échange et que l'importation (de biens moins chers) en constitue le gain toute politique qui vise à obtenir un excédent commercial permanent débouche sur l'affaiblissement du niveau de vie des habitants.

(1) A long terme la valeur ajoutée nette est répartie ainsi:  80% pour les salaires et 20% pour les  profits. C'est l'une des rares lois en économie, identifiée comme la "constante de Bowley". 

(2) 13% du PIB en 1968, près de 29% aujourd'hui.

(3) J.M Daniel (2007), Le taureau face aux tigres. Entre les Etats-Unis et la Chine, l'avenir est à l'Europe. Pearson. 

(4) P. Krugman et M. Obstfeld (1992), "Economie Internationale", de Boeck Université. p.31 et 610.

Suite !!

 

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