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Torture !!??

 

Question et torture

Diverses manières dont le Saint Office fait donner la question, par le graveur protestant Bernard Picart (1673-1733) (Madrid, Biblioteca National).

La procédure inquisitoriale accorde une grande importance à l'aveu de l'accusé. En effet, juridiction religieuse, l'inquisition se préoccupe du rachat des âmes donc souhaite obtenir le repentir des accusés. Toute une procédure est alors mise en place pour obtenir leur témoignage. Pour aider les clercs à procéder aux interrogatoires, des manuels de l'inquisiteur sont rédigés dont les plus célèbres sont le Manuel de l'inquisiteur de Bernard Gui, le manuel d'Eymerich, et le manuel de Torquemada[2]. On y indique la procédure, les questions à poser, les pressions morales et les pressions physiques que l'on peut y faire subir. L'inquisiteur doit extraire la vérité éventuellement « par la ruse et la sagacité »[3]. Parmi les pressions physiques, on peut citer la réclusion qui, selon Bernard Gui, « ouvre l'esprit », ainsi que la privation de nourriture et la torture. Mais une des particularités de l'instruction inquisitoriale est le secret : l'accusé et ses proches ne connaissent aucun des chefs d'inculpation et la défense se fait donc à l'aveugle[4].

Fréquence de l'usage de la torture [modifier]

La fréquence de l'usage de la torture, majoritairement reconnue durant les siècles précédents comme faisant quasi systématiquement partie de la procédure inquisitoriale, est remise en cause par les historiens contemporains.

D'abord, ils rappellent que la pratique de la torture (ou « question », du latin quæstio) était à l'époque utilisée aussi dans les tribunaux séculiers[5], sauf par exemple en Aragon[6], et n'était donc pas l'apanage de l'Inquisition[7].

Ensuite, ils revoient à la baisse les anciennes estimations. Ainsi, Bennassar évalue entre 7 et 10 % le nombre de prisonniers de l'Inquisition espagnole ayant subi ces supplices[8] et précise que « l'usage de la torture n'a jamais été la règle pour l'Inquisition et peut même apparaître, à certaines époques, comme l'exception »[9].

Trait singulier de la torture sous l'inquisiton, la noblesse ne bénéficiait pas de privilège particulier comme cela était le cas auprès des autres tribunaux [10].

Cependant, l'usage de la torture en particulier, et le nombre de victimes de l'inquisition en général, reste difficilement quantifiable car la plupart des données statistiques concernant la période avant 1560 ont disparu[11]. Les aveux obtenus sous la torture n'étant pas recevables, cette partie de la procédure ne faisait généralement pas l'objet d'un enregistrement écrit, et les archives des procès sont le plus souvent muettes ou au mieux allusives sur ce sujet. On trouve ainsi dans les minutes des interrogatoires de courtes phrases du type, confessionem esse veram, non factam vi tormentorum, qui à la fois évoque l'hypothèse d'une torture, et nie que l'aveu noté en ait été l'effet (« l'aveu est spontané, non fait sous la force de la douleur »). Les notations explicites postquam depositus fuit de tormento (« après son retour de la torture ») sont rarissimes.

Limites de la torture

Bartolomé Bennassar, parlant de l'Inquisition espagnole, rappelle que la pratique de la torture y est très codifiée[12]. Trois tortures sont préconisées : l'eau, la poutre et le feu[13].

Bennassar considère pour preuve que la torture fut appliquée avec modération le fait que nombreux sont ceux qui y résistèrent[14]. De même, Laurent Albaret considère qu'au XIIe siècle, « la pratique de la torture (…) est modérée et le personnel inquisitorial sincèrement peu convaincu de ses résultats »[15].

L'usage de la torture posait un problème moral pour les inquisiteurs, qui, en tant que clercs, n'avaient pas le droit de verser le sang. Après un flou juridique initial, cette pratique est officiellement autorisée pour l'Inquisition en 1252 par la bulle Ad extirpenda, sous réserve de ne conduire ni à la mutilation ni à la mort, et en excluant les enfants, les femmes enceintes et les veillards de son champ d'application[16].De plus, il a souvent été exigé par le pape qu'elle ne puisse être donnée qu'avec le consentement de l'évêque du lieu. Dans cette bulle, l'accusé bénéficie de deux protections : la question ne peut être donnée qu'une fois, et les aveux doivent être répétés librement pour être recevables.

Une autre source disponible permettant de se faire une idée sur l'usage de la torture dans les procès de l'Inquisition sont les manuels et instructions des inquisiteurs. Dans les manuels, l'interdiction de soumettre plusieurs fois à la question semble ne pas avoir été prise au sérieux : des arguments formels permettaient de justifier que cette interdiction est formellement respectée, tout en la laissant sans effet. La question était par exemple considérée comme formée de plusieurs étapes, la fin d'une étape n'impliquant pas la suspension de toute la procédure. Un autre argument a été que la découverte de nouvelles charges justifiait à nouveau l'usage de la question spécifiquement contre cette charge. Enfin, l'interdiction ne concernait que l'accusé par rapport à son chef d'accusation, pas le cas des témoignages obtenus de la part d'autres témoins.

Selon Nicolas Eymerich, inquisiteur général d'Aragon, la torture n'était toutefois pas un moyen fiable et efficace d'obtenir la vérité (quæstiones sunt fallaces et inefficaces)[17] car il estimait que, non seulement la capacité de résistance variait considérablement d'un individu à l'autre, mais aussi que certains accusés usaient de sorcellerie pour devenir insensibles à la douleur, voire préféraient mourir que de confesser[18]. En 1561, l'inquisiteur général Fernando de Valdés Salas fit preuve du même scepticisme[19]. Néanmoins, il a été relevé de nombreux cas d'abus[20] ; un des pires exemples, loin d'être un cas isolé, fut sans doute celui de Diego Rodriguez Lucero, inquisiteur de Cordoue de 1499 à 1508, date à laquelle il a finalement été relevé de ses fonctions[21].

 Avis d'un jury

Dans les cas difficiles, le tribunal devait entendre l'avis d'un collège de boni viri, conseil formé de trente à une centaine d'hommes de mœurs, de foi et de jugement confirmés. Ce conseil est imposé et confirmé par les instructions du pape à partir de 1254. Son rôle ira croissant dans l'Inquisition, et sera étendu à d'autres juridictions pour finalement être à l'origine du jury moderne.

Après qu'ils ont prêté serment de s'exprimer en conscience, l'ensemble des actes du procès leur était transmis, mais de manière anonyme, censuré du nom de la personne accusée. Ils transmettaient deux avis à l'inquisiteur: sur la nature de la faute constatée, et sur la nature de la sanction opportune.

L'inquisiteur reste souverain et responsable de sa sentence, mais l'avis de ce conseil était le plus souvent suivi, et quand il ne l'était pas, c'était pour amoindrir les sanctions proposées.

Prononcé du jugement

Le Pape et l'inquisiteur, peinture de Jean-Paul Laurens

Les sentences de l'Inquisition étaient prononcées dans une cérémonie officielle, en présence des autorités civiles et religieuses. Cette cérémonie — une liturgie dans le sens antique du terme — avait pour fonction de marquer symboliquement la restauration de l'équilibre social et religieux qui avait été rompu par l'hérésie. C'était donc un acte de foi public, ce qui est la signification exacte du terme portugais « auto da fé ».

Un jour ou deux avant le prononcé, les inculpés se voyaient lire à nouveau les charges retenues contre eux (traduites en langue vernaculaire), et étaient convoqués pour entendre le verdict de l'inquisiteur, avec les autorités du lieu et le reste de la population.

La cérémonie s'ouvrait tôt le matin, par un sermon de l'inquisiteur, d'où son autre nom de « sermon général ». Les autorités civiles prêtaient ensuite serment de fidélité à l'Église, et s'engageaient à prêter leur assistance dans sa lutte contre l'hérésie.

La lecture des verdicts venait ensuite, en commençant par les « actes de clémence » : remises de peines ou commutations. Les pénitences de toutes nature (dons, pèlerinages, mortifications, etc.) suivaient ensuite. Venaient enfin les sanctions proprement dites, jusqu'aux plus sévères qu'étaient l'emprisonnement à vie ou la peine de mort. Les condamnés étaient alors remis au bras séculier par une formule solennelle : Cum ecclesia ultra non habeat quod faciat pro suis demeritis contra ipsum, idcirco, eundum reliquimus brachio et judicio saeculari (« Puisque l’Église n’a plus à présent à accomplir son rôle contre ceux-ci, pour cette raison, nous les laissons au bras séculier et à sa justice »). Sur ce, la cérémonie s'achevait. L'inquisiteur avait achevé son rôle, l'Église s'était prononcée sur l'hérésie.

Chacun pouvait alors rentrer chez soi avec sa bonne conscience retrouvée — sauf bien sûr les coupables de crimes contre la société, à qui le « bras séculier » allait faire subir leurs peines. Contrairement aux pénitences religieuses, ces peines étaient en effet définies par le pouvoir temporel. Elles sanctionnaient les crimes commis contre la foi et l'Église, toutes deux officiellement protégées par l'État.

 

Mais l'Inquisition condamne aussi à des peines économiques et sociales. La confiscation des biens lui permet de bénéficier de subsides lui permettant de fonctionner[22]. L'Inquisition espagnole condamne aussi à l'ostracisme par le biais du port du sanbenito[23] ou par l'exposition de celui-ci avec le nom du condamné dans les églises[24]. La peine de l'inhabileté[25] conduisait aussi à la ruine et la misère celui qui en était frappé [26].

En revanche, les hérétiques qui ne s'étaient pas présentés dans les délais de grâce, ou ceux qui étaient retombés dans l'hérésie, encouraient la prison à vie. La prison connaissait deux modes possibles : le « mur large », comparable à une résidence surveillée, et le « mur étroit », réclusion solitaire. Le mur étroit pouvait être aggravé en carcer strictissimus, le condamné mis au cachot (communément appelé un in pace) étant attaché par des chaînes, et privé de tout contact.

Le relaps, ou l'obstiné qui refusait d'avouer son crime (qui devait par ailleurs avoir été démontré), était abandonné à l'autorité séculière, et la peine de son crime était souvent l'incarcération ou le bûcher. En toute rigueur, la peine la plus sévère que prononçait l'Église était l'excommunication. Les condamnations à mort étaient prononcées en fonction de la loi civile et exécutées par les autorités séculières. Il faut dire, cependant, qu'il n'y avait pas de séparation nette entre les domaines civils et religieux : les autorités civiles étaient elles-mêmes tenues d'apporter leur concours sous peine d'excommunication.

L'appel

Dans certaines circonstances, en particulier en cas de faute lors du déroulement de la procédure, l'accusé peut faire appel au pape. En pratique, cette possibilité est rarement offerte. Bernard Gui précise que l'inquisiteur passe outre à tout privilège d'exemption et à l'appel. À Valence en 1494, ce droit à l'appel est dénié à ceux condamnés pour hérésie[27]. Au XVIe siècle, l'appel au pape et au parlement se généralise et permet de bloquer la procédure tant que la plainte n'a pas été analysée[28].

Victimes de l'inquisition

Le nombre de personnes abandonnées à la justice civile et livrées au bûcher est difficile à évaluer. La mémoire collective est marquée par les exécutions massives de Montségur[29], Vérone[30] ou du Mont-Aimé[31] et par la répétition des bûchers à certaines périodes de l'Inquisition espagnole.

Les registres des procès ont partiellement disparu et les historiens sont amenés à évaluer le bilan humain seulement à partir de documents partiels. Ce principe d'évaluation conduit à des résultats extrêmement variables, de 400 victimes pour les dix premières années[32] à plusieurs millions sur plusieurs siècles et dans de nombreux pays [33]. Juan Antonio Llorente dans son étude Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne depuis l'époque de son établissement par Ferdinand V, jusqu'au règne de Ferdinand VII, en 1818, estime à environ 30 000 condamnations à mort physique (et 15 000 par effigie[34]) durant les trois siècles de l'Inquisition espagnole de 1481 à 1781 (date de la dernière exécution) dont 8 800 pour la période de Torquemada. Cependant les historiens contemporains trouvent cette évaluation grandement exagérée[35] et la désignent comme un instrument de la légende noire au XIXe siècle[36].

Les quelques études menées pour le XIIIe siècle donnent une proportion de condamnations au bûcher inférieure à 10 % des peines[37]. D'après Patrick Henriet[38], « Il ne fait aucun doute qu'au XIIIe siècle, comme encore par la suite, la justice inquisitoriale s'est montrée beaucoup moins expéditive que celle des cours civiles ». Bartolomé Bennassar pointe la grande variabilité en nombre de ces condamnations selon les périodes (rigoureuses ou plus calme). Il évalue ainsi à 40 % des personnes jugées celles montant sur le bûcher lors de la période la plus terrible de l'inquisition espagnole (fin du XVe siècle), pour tomber à 1 % dans la seconde moitié du XVIIe siècle[39].

Au temps de l'inquisition triomphante, on posa en 1524 à Séville une plaque commémorative donnant un bilan des quarante premières années de l'inquisition espagnole, supposées les plus terribles :

« L'an du Seigneur 1481 […] a commencé en ce lieu le Saint Office de l'Inquisition contre les hérétiques judaïsants, pour l'exaltation de la foi. Par lui, depuis l'expulsion des juifs et des Sarrasins jusqu'en l'année 1524 […] plus de vingt mille hérétiques ont abjuré leurs criminelles erreurs, et plus de mille obstinés dans l'hérésie ont été livrés aux flammes, après avoir été jugés conformément au droit […] »[40].

D'après Henri-Dominique Lacordaire, « l'inquisition est un progrès véritable comparée à tout ce qui avait eu lieu dans le passé. À la place d'un tribunal sans droit de grâce, assujetti à la lettre inexorable de la loi, on avait un tribunal flexible duquel on pouvait exiger le pardon par le repentir, et qui ne renvoya jamais au bras séculier que l'immense minorité des accusés. L'inquisition a sauvé des milliers d'hommes qui eussent péri par les tribunaux ordinaires ».

En mars 2000, l'Église catholique a offert sa repentance officielle contre, notamment, les excès de l'Inquisition, et a lancé en 1998 une étude sur l'Inquisition qui a donné lieu à la publication d'un document de 800 pages recensant les dommages causés par celle-ci et dans lequel Jean-Paul II manifestait le repentir de l’Église romaine (voir détails et références dans Chronologie Période contemporaine).

 

Par conséquent, les tribunaux religieux se mettent à juger des fauteurs de troubles sociaux. Ce partage des rôles est acté dans l’arrangement de Vérone (1148) entre le Pape et l'Empereur : les hérétiques doivent être jugés par l'église avant d'être remis au bras séculier, pour y subir « la peine due » (debita animadversione puniendus).

Inquisition et pouvoir

« L'histoire de l'Inquisition est l'illustration du drame qui menace les hommes chaque fois qu'une liaison organique s'établit entre l'État et l’Église », a écrit l'historien et professeur Bartolomé Bennassar.

Le fonctionnement même de l'inquisition (promulgation d'édit obligeant à la dénonciation, tenue et conservation de registres sur toutes les dénonciations, procédure soumise au secret) en fait une formidable outil de répression[41] dont le pouvoir religieux et royal usera.

Selon les époques, l'Inquisition servira ou s'opposera au pouvoir politique. En France, l'inquisition médiévale, dans ses débuts, est principalement au service du pape qui tente de rasseoir son autorité et de lutter contre les hérésies et le roi s'opposera parfois à la rigueur de la répression. Mais, dès la fin du XIIIe et jusqu'au XVe siècle, les souverains sollicitèrent le pouvoir inquisitorial pour se débarrasser des individus devenus gênants pour les puissants[42]. Au XIVe siècle, le pape réagit à certaines dérives sur l'autonomie laissée à l'inquisition en exigeant la collaboration entre inquisiteurs et évêques. Le droit absolu de l'inquisiteur est remis en question. Mais les juridictions civiles fragilisent aussi peu à peu la puissance d'un tel tribunal. À Toulouse, en 1331, un commissaire du roi assimile l'inquisition à une juridiction royale, en 1412, l'inquisiteur de Toulouse est arrêté sur l'ordre du roi. En Dauphiné, le tribunal est progressivement subordonné au Parlement de Grenoble.

En Espagne, l'inquisition est sous l'autorité du roi. C'est lui qui désigne les inquisiteurs. Le pape n'aura que très peu d'influence sur l'inquisition espagnole et face à l'intransigeance d'un Torquemada, il ne peut qu'élever une protestation. Instrument du pouvoir, elle est d'abord une force d'unification dans l'Espagne après la Reconquista. Elle se met ensuite au service du pouvoir devenant une arme contre les fueros[43]. Elle sert à lutter contre les ennemis du pouvoir (parti navarrais, Antonio Pérez, répression des émeutes de 1591, répression de la révolution de 1640 en Catalogne, prise de parti dans la guerre de succession d'Espagne). Elle fournit, par ses condamnations, de la main d'œuvre pour les galères et se plie aux aléas de la politique (indulgence envers les hérétiques anglais en 1604 lors de la construction de la paix). Elle sert aussi de police politique en contrôlant les étrangers . Elle devient peu à peu une force réactionnaire contre les changements au sein de l'Espagne dont la puissance perdurera jusqu'en 1808[44].

 La Réforme protestante et l'Inquisition [modifier]

La première phase de diffusion écrite d'une représentation idéologiquement orientée de l'Inquisition est liée à la répression de la Réforme protestante, en particulier sur les territoires espagnols, sous les règnes de Charles Quint puis de son fils Philippe II.

En 1522, Charles Quint crée un poste d'Inquisiteur Général des Pays-Bas, qui étaient alors en possession du roi d'Espagne, en y nommant François Vander Hulst, pour étendre son pouvoir impérial à travers cette institution et lutter plus efficacement contre les schismatiques. Cette Inquisition hollandaise, principalement au milieu du XVIe siècle, réprima de manière particulièrement violente ce qui était considéré par l'Église catholique comme une hérésie. Les victimes de cette répression religieuse furent considérées comme des martyrs de la Réforme, et la répression elle-même alimenta dans la population néerlandaise le rejet du régime espagnol, qui fut obtenu à la suite de près d'un siècle de troubles (guerre dite de Quatre-Vingts Ans, 1566-1648). L'indépendance de la Hollande se construisit ainsi sur un fond de lutte pour la liberté religieuse, contre l'Espagne catholique et son Inquisition.

À la fin du XVIe siècle, le thème de l'Inquisition passe ainsi dans la culture des Églises réformées, porté par un culte des héros à la fois nationaliste et religieux. De nombreux pamphlets commencent à diffuser alors une image réaliste mais caricaturale de l'Inquisition, décrivant les pires pratiques inquisitoriales comme étant la norme d'une institution vicieuse et fanatique. C'est ainsi qu'en 1567 le protestant espagnol Antonio del Corro (sous le pseudonyme Reginaldus Gonzalvus Montanus) expose les pratiques de l'Inquisition espagnole dans son ouvrage Sanctae Inquisitionis Hispanicae Artes aliquot detectae ac palam traductae, en présentant « chaque victime de l'inquisition comme innocente, chaque inquisiteur comme vénal et trompeur, et chaque étape de la procédure inquisitoriale comme une violation des lois de la nature et de la raison » (Peters 1988, p. 134). Ce livre aura un énorme succès : réimprimé et traduit à de nombreuses reprises, il restera longtemps la référence absolue sur l'Inquisition pour ses détracteurs[réf. nécessaire]. Une autre source notable sera l'Apologie de Guillaume de Nassau, publiée en 1581 par le huguenot Pierre Loyseleur de Villiers[47]. La majorité des charges contre l'Inquisition s'appuieront ensuite sur de telles sources.

L'Angleterre du XVIIe siècle est à la fois protestante, en contact culturel et économique étroit avec la Hollande, et en lutte d'influence contre l'Espagne catholique. De plus, depuis 1533, elle baigne dans un anti-papisme officiel et le bref règne de Bloody Mary, de 1553 à 1558, ne fera qu'augmenter le rejet du catholicisme. Dans ce contexte, le thème de l'Inquisition trouve un nouveau relais dans les milieux protestants et nationalistes anglais (Peters 1988, p. 139-144). En décrivant les violences des débuts de l'Inquisition espagnole comme une norme du fonctionnement de cette institution et, par extension, du catholicisme (on trouve un exemple précoce de cette relecture dans l'histoire et l'œuvre d'Antonio del Corro(es)), la référence à l'Inquisition permet aux Anglais de valoriser, par contraste, la liberté et la libération apportées par le protestantisme, et de justifier moralement la lutte contre le catholicisme aussi bien externe (guerre contre l'Espagne) qu'interne (persécutions religieuses en Irlande).

L'anticléricalisme et l'Inquisition

Voltaire

Le XVIIIe siècle est celui des Lumières, dont la philosophie se définit comme se démarquant de l'obscurantisme passé : la religion naturelle s'oppose au dogme traditionnel. L'idée de chercher la vérité à travers le libre exercice de la raison éclairée par le débat, portée par la noble ambition de former des hommes « libres et de bonnes mœurs », est alors opposée au dogmatisme que symbolise l'Inquisition.

L'incursion de l'Inquisition dans le domaine du débat scientifique avec le procès de Galilée (1633) fut à l'origine de la réaction de Descartes et de sa philosophie mécaniste. La confusion entre vérités de foi et recherche d'un fondement scientifique posa un problème de méthode, qui reste actuel. La revendication d'une certaine autonomie par Galilée est à l'origine du principe d'autonomie de la science, qui s'oppose aux méthodes jugées arbitraires de l'Inquisition. Ce programme passe des loges anglaises, largement en symbiose avec l'Église d'Angleterre, et essaime en France, dans une élite intellectuelle qui commence à être déchristianisée. Les francs-maçons, qui étaient alors devenus des ennemis farouches de l'Église catholique et de l'Inquisition, surtout après leur première condamnation par le Pape en 1738, ont utilisé les descriptions les plus négatives de l'Inquisition pour illustrer les débats sur l'obscurantisme et la liberté.

L'Inquisition devient alors un thème récurrent du discours anticlérical. Voltaire la prend pour cible constante.

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