Sacrifice humain chez les Aztèques
Le sacrifice humain était, dans la civilisation aztèque, comme dans toutes les autres civilisations précolombiennes de Mésoamérique, un rite extrêmement courant et essentiel[1] comme l'attestent plusieurs documents indigènes et espagnols ainsi que de nombreuses découvertes archéologiques. Les méthodes de sacrifice et les types de victimes sacrifiées étaient très variés. Les plus documentés sont l'autosacrifice par extraction de sang et le sacrifice par cardiectomie (ablation du cœur) d'esclaves et de prisonniers de guerre, dans un lieu sacré qui était le plus souvent un temple au sommet d'une pyramide[GT 1].
Au cours de la colonisation des Amériques, les Espagnols ont fréquemment justifié moralement leur conquête des territoires indigènes et l'évangélisation des peuples qui y vivaient par la nécessité d'abolir cette pratique religieuse jugée diabolique[1].
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sacrifice_humain_chez_les_Azt%C3%A8ques
Sources [modifier]
Le Codex Borbonicus illustre les différentes cérémonies sacrificielles associées aux treizaines du calendrier aztèque rituel (le « tonalpohualli »)[GT 2].
Les codex du groupe Borgia, bien qu'il ne semble pas qu'ils aient été produits à Mexico-Tenochtitlan mais entre Puebla et Tlaxcala, comportent également de nombreuses scènes de sacrifice humain représentatives de ces rites chez des populations de culture très similaire à celle des Mexicas[GT 2].
Les codex mixtèques et mayas, bien qu'ils ne décrivent pas les cérémonies des peuples de l'Empire aztèque, reflètent le mode de pensée mésoaméricain et sont donc, à ce titre, une source d'information complémentaire sur le sens des rites sacrificiels dans l'ensemble de cette aire culturelle[GT 2].
Peu d'Espagnols, parmi ceux qui ont été témoins directs de sacrifices, ont écrit à leur sujet[GT 3]. De plus, la plupart des conquistadors chroniqueurs les ont évoqués rapidement, sans donner de détails[GT 4].
Selon la mésoaméricaniste Yolotl González Torres, les deux sources qui apportent les témoignages les plus intéressants sur les sacrifices aztèques, parmi les ouvrages rédigés peu après la conquête de l'Empire aztèque, à l'époque coloniale, sont les textes de Bernardino de Sahagún et Diego Durán[GT 5].
Découvertes archéologiques
L'archéologie a permis de retrouver, à partir de son développement au Mexique au XIXe siècle, de nombreux objets et monuments liés aux sacrifices humains (couteaux et autels de sacrifice, offrandes, cuauhxicallis, tzompantlis), dont certains gardaient encore des traces de sang humain. Des restes humains portant des marques les identifiant clairement comme des victimes de sacrifice ont également été retrouvés dans le sous-sol de plusieurs sites religieux aztèques, comme lors des fouilles du Templo Mayor[2].
La plupart des recherches sur le sacrifice ainsi que celles sur la Mésoamérique évoquent la pratique du sacrifice humain chez les Aztèques.
Les premières études spécialisées de référence sur ce sujet sont parues à partir de la seconde moitié du XXe siècle d'auteurs comme Alfonso Caso et Laurette Séjourné.
Origines
Selon les croyances aztèques, c'est Tezcatlipoca, dieu de la nuit et de la mort, qui aurait donné aux Aztèques la coutume des sacrifices humains[3]. Il aurait chassé de Tula le dieu Quetzalcoatl, qui s'opposait au sacrifice des humains[4].
On a donc longtemps attribué aux Aztèques l'implantation des sacrifices humains en Mésoamérique.
Cependant, il est avéré que cette pratique remonte au moins aux Olmèques, la première civilisation mésoaméricaine documentée.
La principale fonction des sacrifices humains aztèques avancée par une majorité des sources était d'ordre religieux car les Aztèques croyaient qu'ils alimentaient les dieux et maintenaient ainsi l'équilibre du cosmos[G 6]. Il existe en effet plusieurs mythes montrant cette fonction des sacrifices.
Toutefois, selon Michel Graulich, cette explication néglige d'autres fonctions[G 7].
Les mythes cosmogoniques aztèques sont imprégnés de références aux sacrifices humains comme un élément nécessaire au fonctionnement et à l'équilibre du cosmos[5]. On en retrouve par exemple dans le mythe de la création du monde, dans lequel la déesse-terre Tlaltecuhtli réclame des cœurs humains et refuse de donner ses fruits avant d'être arrosée de sang[1] ; de même, dans le mythe de la création du Soleil et de la Lune, le sacrifice des dieux Nanahuatzin et Tecciztecatl leur permet de renaître sous la forme de ces astres puis le sacrifice des autres dieux est également nécessaire pour que le Soleil commence à se déplacer dans le ciel[6]. Dans le mythe nahua de la Légende des soleils, la déesse-Terre donne le jour aux 400 Mimixcoas et à 5 Mecitin (c'est-à-dire des Mexicas) ; comme les Mimixcoas se laissent aller à la luxure et à la boisson et ne ramènent donc rien de la chasse, les cinq Mecitin sont chargés de tuer les 400 Mimixcoas pour que la Terre et le Soleil puissent s'en alimenter[7].
Ce rôle régulateur est également lié à la légende des soleils, selon laquelle les dieux avaient successivement créé plusieurs mondes ou « soleils » qui furent chaque fois anéantis avec leurs habitants ; les sacrifices humains devaient apaiser les dieux afin qu'ils ne détruisent pas encore le monde actuel. Les Aztèques pensaient aussi que les sacrifices permettaient au Soleil de continuer sa course dans le ciel. Les sacrifices donnés en l'honneur du dieu Tlaloc devaient éviter la sécheresse et les inondations[8].
Libération du tonalli
Dans la pensée aztèque, le sacrifice humain permet en effet de libérer une énergie appelée « tonalli », liée en particulier à la tête, au sang (que les Aztèques désignaient par la métaphore « chalchiuatl », « eau précieuse ») et au cœur.
Fonction nutritive
Certains chercheurs[G 12] ont émis l'hypothèse que l'apport en protéines des aliments dont disposaient les Aztèques était insuffisant, et que les sacrifices humains avaient pour fonction principale de pallier cette carence[G 13].
Cette théorie, en particulier quand elle a été diffusée par le New York Times, a suscité de violentes critiques de spécialistes de la Mésoamérique, accusés par Michael Harner de minimiser le cannibalisme aztèque par nationalisme[G 13].
Michel Graulich a apporté d'autres éléments de critique. Il opine que si cette théorie était exacte, la chair des victimes aurait dû être distribuée au moins autant aux gens modestes qu'aux puissants, mais il semble que ce n'était pas le cas[G 14] ; il rajoute que seules les grandes villes pratiquaient le sacrifice humain de masse, et que ce phénomène n'a pas été prouvé dans la plupart des autres populations mésoaméricaines[G 14], dont l'alimentation semble pourtant comparable à celle des Aztèques.
Sacrifiants
Un individu pouvait offrir un autre être humain en sacrifice, généralement pour asseoir et protéger sa réussite sociale, mais uniquement s'il faisait partie des dignitaires (pipiltin, guerriers, prêtres, pochtecas)[GT 6] ; les gens du peuple (« macehualtin ») ne pouvaient offrir que de la nourriture, de petits animaux (le plus souvent des cailles)[GT 7] ou leur propre sang par autosacrifice[11] (automutilation avec des poinçons en os ou des épines de maguey).
Les calpulli (communautés de quartier) et les corporations pouvaient aussi organiser des sacrifices à vocation principalement religieuse, pour le bien-être de la communauté[GT 8].
Les cérémonies sacrificielles organisées officiellement par l'État avaient une importance autant politique que religieuse[GT 9].
Comme dans tous les systèmes religieux organisés, et particulièrement les religions étroitement liées à un État[GT 10], seuls les prêtres (et dans quelques occasions, le chef d'État mexica, le huey tlatoani) pouvaient réaliser les rites importants tels que les sacrifices humains[12].
Plusieurs sources, en particulier des codex coloniaux, décrivent les prêtres sacrificateurs vêtus d'un tissu blanc et d'un cache-sexe (maxtlatl). Cependant, il est plus probable, surtout pour certaines cérémonies, qu'ils revêtaient une tenue symbolique du dieu auquel était dédié le sacrifice, comme l'affirme Diego Durán et comme on peut le constater dans quelques codex préhispaniques comme le Borbonicus[GT 11].
Sacrifiés
Si, probablement, ce sont au départ essentiellement des esclaves qui étaient sacrifiés, comme cela resta le cas dans la civilisation maya, le caractère expansionniste de l'Empire aztèque fit des prisonniers de guerre les principales victimes des sacrifices humains avec les esclaves[G 15]. Réciproquement, le besoin de captifs à sacrifier augmenta avec l'expansion de l'Empire et explique les guerres perpétuelles des souverains successifs.
On sacrifiait également des condamnés, et certains rituels exigeaient le sacrifice de nobles, de femmes vierges, d'enfants[12] ou encore de « personnes marquées », c'est-à-dire présentant une particularité physique, comme les nains et les bossus[G 16]. Certains Aztèques se portaient aussi volontaires pour être sacrifiés, afin d'être ainsi divinisés[G 17], car ils croyaient que leur destin après la mort dépendait non pas de leurs actions sur terre mais de la façon dont ils mouraient, et les deux morts qu'ils considéraient les plus glorieuses étaient la mort au combat et le sacrifice. Cette croyance était largement répandue en Mésoamérique : cela permet d'expliquer que les ennemis capturés ne résistaient pas quand ils étaient sacrifiés, d'autant qu'ils étaient épuisés après leur voyage du champ de bataille au temple, qu'ils trouvaient dans le sacrifice un moyen digne d'échapper à une vie d'esclave et qu'ils étaient probablement, au moins parfois, drogués.
Lieu
Les sacrifices avaient généralement lieu dans la cité, dans une enceinte cérémonielle et sacrée, devant un temple, le plus souvent en haut d'une pyramide (qui reproduisait la forme symbolique des montagnes rapprochant la terre du ciel, dont la montée était assimilée à l'approche vers le dieu, le sommet abritant le temple-caverne des dieux), sur un autel de sacrifice (« téchcatl », « cuauhxicalli » ou « temalacatl »)[GT 12]. Cependant, les lieux de culte étaient très variés et on sacrifiait donc également, en fonction des circonstances, dans d'autres sites sacrés[GT 1] tels que le terrain du jeu de balle[GT 12], la lagune, les montagnes (comme celle de Tepetzinco, de Cuauhtépetl, de Zacatépec ou de Huixalchtécatl)[GT 12], les croisées des chemins ou encore le champ de bataille[G 18].
De nombreux sacrifices avaient lieu dans l'enceinte sacrée du Templo Mayor de Mexico-Tenochtitlan, qui était considérée par les Aztèques comme le centre du monde[13], au sommet de la pyramide dédiée aux dieux Huitzilopochtli et Tlaloc. Certaines caractéristiques de ce bâtiment en forme de pyramide tronquée sont associées au mythe spécifiquement aztèque de la naissance de leur dieu tribal, Huitzilopochtli, sur une montagne appelée « Coatepec[13]. » Dans ce mythe, la grossesse miraculeuse de Coatlicue indispose sa fille Coyolxauhqui et ses quatre cents fils, les Centzon Huitznahua. Ils décident de tuer leur mère, lorsqu'elle accouchera au sommet du Coatepec, mais Huitzilopochtli sort tout armé du ventre de sa mère, tue sa sœur, la démembre et précipite les morceaux au bas de la montagne. Ensuite il poursuit ses frères et les extermine. Le sanctuaire d'Huitzilopochtli au sud du Templo Mayor symbolise le Coatepec. On comprend parfaitement de cette manière la présence au bas de l'escalier qui y mène de la fameuse sculpture représentant Coyolxauhqui démembrée. Lorsqu'une victime est immolée au sommet du temple et que son corps est précipité vers le bas, c'est cet épisode du mythe qui est répété symboliquement.
La cérémonie se déroulait en public : l’enceinte du Templo Mayor de Mexico-Tenochtitlan pouvait contenir autour du temple principal 8 000 à 10 000 personnes[14].
Rituels accompagnant le sacrifice
Avant le sacrifice, on faisait chanter et danser la victime pendant des heures, voire des jours pour qu'elle dépense son énergie[15]. Le prêtre s’enduisait de cendres de plantes vénéneuses et d’animaux venimeux qui le plongeaient dans un état second[12].
La cérémonie se jouait au son de tambours monoxyles (teponaztli).
La méthode la plus documentée est la cardiectomie (excision du cœur), mais les formes de sacrifices étaient variées : par le combat (sacrifice gladiatorial)[G 19], par éviscération[G 20], par crémation[G 21], par pendaison, à coups de flèches ou de javelines[5], par chute dans le vide[G 22], par enfouissement vivant[G 23] (parfois dans une salle dont on faisait s'écrouler le toit)[G 24], par coups de la tête contre un rocher[G 25], par écrasement dans un filet[G 26], par noyade[16], par décapitation[17], par dépeçage[G 27], par lapidation[G 28] ou encore par écorchement[18].
Cette méthode, considérée comme la plus fréquente, était généralement exécutée sur une victime encore vivante.
Le sacrifié était généralement mené dans un lieu sacré, qui était le plus souvent un temple en haut d'une pyramide, mais ce type de sacrifice pouvait également être pratiqué directement sur un cadavre sur le champ de bataille[G 29].
Il était allongé sur une pierre de sacrifice (« techcatl »[9]) de forme variable (trapézoïdale, conique ou parallélépipédique), mais presque toujours plus haute que large (sauf dans le cas de l'utilisation des cuauhxicalli comme autel de sacrifice, qu'il s'agisse de chac-mool ou de grandes pierres cylindriques telles que la pierre du Soleil ou la pierre de Tizoc), et d'une taille verticale de plus ou moins 50 cm[G 30] ; on utilisait aussi parfois comme support des tambours (« teponaztli ») ou le dos d'un prêtre, dont on peut supposer que les chac-mool étaient des substituts en pierre[G 31].