Divers documents cunéiformes comportent des descriptions de champs, une centaine présentant également des plans. Il s’agit avant tout de tablettes. Dès les débuts de l’écriture certaines donnent des localisations de champs. Sous la Troisième dynastie d’Ur apparaissent les premières tablettes avec des plans de champs, dont elles donnent des descriptions. Elles sont destinées à évaluer les rendements que l’on peut en attendre. Par la suite, les descriptions se font plus précises. Les époques néo-babylonienne et achéménide ont livré de nombreux documents de ce type, que ce soient des tablettes et aussi des kudurru (stèles gravées à la suite de donations de champs). D’une manière générale, les actes de vente de champ comportent sa localisation et sa mesure. Les textes les plus précis précisent les mesures de côtés, les propriétaires des parcelles contiguës, et découpent les champs en parties différentes en fonction du rendement attendu.
Certains de ces documents ont pu être destinés à l’apprentissage de la mesure des champs par les arpenteurs, et à l’estimation de la récolte. Les calculs de la superficie des champs se faisaient en adaptant leurs formes réelles à des formes géométriques faciles à calculer : un rectangle pour la plus grosse part, et les irrégularités étaient assimilées à des triangles. L’arpentage se faisait avec des cordes (EŠ.GID en sumérien, eblu(m) en Babylonie, ašalu en Assyrie). Des arpenteurs spécialisés membres de l’administration royale sont attestés à l’époque d’Ur III et à la période paléo-babylonienne (SAG.DÙN, DUB. SAR.A.A.ŠÀ.GA , šassakum).
Les champs des terroirs irrigués doivent avoir un accès direct à un canal. De ce fait, la concurrence pour l’accès à l’eau fait que l’on réduit la largeur des champs pour permettre à un plus grand nombre d’entre eux de border le canal, et on gagne une superficie plus vaste en étirant la longueur du champ. Les parcelles sont donc grossièrement rectangulaires, bien plus longues que large, ce qui donnerait un paysage de champs en « lamelle de parquet ». Selon M. Liverani[2], ce serait le type de champ présent dans le pays de Sumer. Plus au nord, dans le pays d’Akkad, les champs seraient plus ramassés, du moins jusqu'au Ier millénaire, quand il semble que les champs de Babylonie deviennent eux aussi de type allongé. Toujours selon le même auteur, ce type de champ est issu d'une planification, visant à optimiser l'utilisation de l'espace en permettant à un maximum de champs d'avoir accès aux canaux (et donc l'éventuelle extension de ce type de paysage serait due à la volonté des autorités des grands organismes).
Rien de tel n’est connu pour la haute Mésopotamie, exception faite du terroir entourant la cité de Nuzi, où l'on voit un partage entre champs allongés et champs ramassés.
Tentative de restitution des paysages agricoles mésopotamiens [modifier]
À quoi auraient donc pu ressembler les paysages agraires de la Mésopotamie antique[3] ? Le pays de Sumer aurait présenté un paysage de champ laniérés alignés le long d’un canal, tandis que l’habitat aurait été groupé, dans de gros bourgs ou des villes plus importantes, au moins jusqu’au début du IIe millénaire quand la région connaît une chute démographique et l’abandon de nombreuses agglomérations. Les prospections réalisées par R. McC. Adams dans les alentours de Nippur et d’Umma semblent indiquer qu’avant cette période les agglomérations de plus de 10 hectares comptent plus des trois-quarts de la population[4] ; mais certains habitats de petite taille ont probablement échappé à ces enquêtes, et les textes nous apprennent qu'il existait souvent des écarts comprenant une habitation isolée. Force est de constater que les villages et l'habitat rural sont complexes à définir et à percevoir, en l'absence de fouilles d'établissement ruraux, et du fait de la difficulté que l'on a à analyser les textes concernant ces habitats[5]. Dans les régions d’agriculture irriguée du sud, les agglomérations semblent plutôt installées sur les bords des cours d’eau naturels ou des grands canaux, là où l’apport de sédiments a entraîné une surélévation du niveau du sol (ce qui limite le risque d’inondation). Les palmeraies et les vergers jouxtent également les canaux, près des villages ou autour des villes ; à Uruk à la période néo-babylonienne, les parcelles de palmeraies sont très allongées, leur long côté bordant les cours d'eau. Quand on s’éloigne du village vers les rebords du terroir irrigué vers l’espace aride, le réseau de canaux se rétrécie, et la qualité des terres diminue. L’espace inculte sert à faire paître les bêtes. La limite du terroir irriguée peut également être marquée par des marais, qui servent d’espace de pêche et de chasse ou bien d’approvisionnement en roseaux (surtout à l’extrême sud de la Mésopotamie). On y trouve des habitats isolés. La répartition de l’espace entre terroirs irrigués, zone désertique et marais n’est pas statique : des champs peuvent devenir incultes suite à une trop forte concentration de sels dans le sol, et donc se désertifier, tandis qu’à l’inverse un espace désertique peut être mis en valeur par l’irrigation ; de la même manière, des marais peuvent être drainés, ou bien se créer en limite d’une zone récemment irriguée, voire suite à des mouvements de cours d’eau. Les abords des bourgs et des villes étaient souvent irrigués, et on y plantait des jardins et des vergers. Des terroirs étaient spécialisés dans des productions de fort rapport, notamment la viticulture, et étaient convoitées par les riches propriétaires ; cela devait donner des paysages caractéristiques. Certaines régions de haute Mésopotamie se situent hors de la zone d’agriculture sèche : le moyen Euphrate et les vallées du Balikh et du bas Khabur, où l’extension de la surface agricole se fait par l’irrigation comme en basse Mésopotamie. Ces espaces sont mieux documentés aujourd’hui grâce notamment aux archives médio-assyriennes de Tell Sabi Abyad et Tell Sheikh Hamad, et aux prospections et recherches d'archéologie du paysage qui y ont été menées.
Les cadres de l’économie agricole de la Mésopotamie sont documentés sur plus de deux millénaires, par des lots d’archives qui sont disséminés sur cette longue période, chacun nous informant sur une situation spécifique à un lieu et une époque. On peut cependant en tirer des traits généraux caractéristiques des structures agraires mésopotamiennes, qui sont néanmoins imprécis et nécessitent une approche de la réalité agricole par des études de cas. L’économie mésopotamienne étant un point sur lequel les historiens actuels débattent abondamment, il convient en premier lieu de voir les grandes problématiques qui se posent. Un grand débat sur l’économie du Proche-Orient ancien est celui concernant la propriété privée. Si celle-ci n’est plus vraiment niée, on se querelle beaucoup sur son poids par rapport à la propriété publique (celle des grands organismes), et son évolution au cours du temps : on en fait tantôt un élément marginal, tantôt un élément de poids ; on la voit diminuer au cours du temps, ou à l’inverse se développer. La situation des notables est d’ailleurs peu claire : leurs archives mélanges souvent des affaires que l’on considèrerait aujourd’hui comme « publique » et « privées », certains ayant d’ailleurs leurs archives dans des bâtiments de grands organismes (même s’il semble qu’on a une conscience claire entre ce qui est privé et public). D’autres façons de voir les choses peuvent être avancées, sans avoir une approche aussi globalisante que les modèles vus ci-dessus. Ainsi, on a récemment analysé la société rurale suivant l’opposition indépendants/dépendants, ces derniers étant ceux qui ne possèdent pas assez de terres pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, ce qui les oblige à prendre en charge celles que leur concèdent les grands organismes[7]. Cette catégorie comprend des hommes libres et la plupart des esclaves. Généralités [modifier] L’économie mésopotamienne est dominée par ce que l’on appelle à la suite de A. Oppenheim les « grands organismes » : palais et temples, qui possèdent les plus grands domaines et les troupeaux les plus importants. C’est le pouvoir royal qui domine généralement ce système, depuis la période des dynasties archaïques jusqu’à celle des Achéménides. Le roi distribue des terres aux temples, à ses favoris, et peut les reprendre ou les mettre en tutelle s’il le désire. Il existe également de plus petits palais, possédés par des aristocrates dépendant du pouvoir royal, très présents en haute Mésopotamie, avant tout en Assyrie. Si une partie de ces grands domaines est mise en valeur directement, par des esclaves ou des hommes libres, une autre part était affermée à de petits exploitants ou bien à des notables, qui y faisaient travailler leurs propres hommes à leur tour. Les palais et les temples distribuaient aussi des terres contre des services accomplis (ilku(m) quand il s’agit d’un service pour le pouvoir royal, d’ordre civil ou militaire), en guise de salaire. La structure foncière oppose le nord et le sud de la Mésopotamie. Dans le premier, ce sont les palais, de grande ou plus petite taille, qui dominent ; les temples n'ont pas ou très peu de terres. Des sortes de domaines latifundiaires se constituent, notamment aux dépens des petits propriétaires qui ont des exploitations plus limitées qu’au sud, et semblent avoir souvent des problèmes d’endettement. C’est le cas à Nuzi, en Assyrie, également dans des royaumes de Syrie du nord qui partagent des traits similaires avec le nord mésopotamien du point de vue des structures agraires. Une fois leur terre cédée, les paysans se faisaient exploitants pour le compte des notables ayant racheté leurs terres. Dans le sud, le palais est très présent mais les temples sont également de très grands propriétaires. Le poids respectif des deux varie en fonction de la période. La « propriété privée » est beaucoup moins documentée que celle des grands organismes, et c’est un sujet très débattu comme vu plus haut. On connaît bien mieux les activités des notables, parce qu’ils conservaient d’importants lots d’archives, que celle des petits exploitants qui n’apparaissent dans les sources que de manière indirecte, et dont la place dans le système de production est sujet à controverses. Les archives « privées » apparaissent en tout cas en grand nombre à partir du début du IIe millénaire, elles sont très limitées auparavant, voire hypothétiques pour certains. Par ailleurs, les notables peuvent avoir des stratégies différentes, et chercher à constituer des grands domaines, donc des sortes de « grands organismes » en miniature, comme privilégier les créances et les locations de terres mises en valeur par leurs propres dépendants. Leurs motivations restent impossibles à appréhender : les formalistes cherchent à déceler un esprit capitaliste chez eux, alors que pour les substantivistes il n’y en a pas. L'esclavage n'est pas une donnée majeure de l'économie mésopotamienne, qui est en très grande partie le fait d'hommes libres. Les esclaves ne sont en nombre important que sur les domaines des grands organismes, où ils servent généralement de main-d'œuvre pour la partie du domaine exploitée directement, et pour diverses corvées. Il ne semble pas que l'entretien de nombreux esclaves soit quelque chose de rentable, et c'est assez lourd à gérer. Il existe également des catégories de « semi-libres », que l'on qualifie parfois de « serfs », qui sont attachés à la terre, astreints à des charges lourdes, mais n'en sont pas pour autant des esclaves, même si dans les faits ils ne sont pas forcément mieux traités. L'intérêt de la notion de « dépendance » est de permettre de dépasser le clivage libre/non-libre, pas forcément pertinent pour bien saisir les couches basses des exploitants agricoles. Les nomades jouent également un rôle dans la production agricole. Ils sont nombreux à pratiquer le semi-nomadisme : une partie de la population reste sédentaire et cultive ses propres terres, alors qu’une autre (des hommes adultes) pratique le nomadisme pastoral. Les nomades se font aussi à l’occasion ouvriers agricoles sur les terres des sédentaires, et peuvent prendre en charge les troupeaux des grands organismes lors des longs déplacements saisonniers. Les tribus nomades sont donc très bien intégrées dans l’économie agricole, qu’ils peuvent cependant perturber durant les périodes difficiles en faisant des razzias, du fait de leur plus grande vulnérabilité aux aléas économiques et climatiques. En l’absence de progrès techniques notables aux époques historiques (il ne faut cependant pas minimiser le rôle des progrès de la métallurgie ainsi que l’apparition de nouveaux instruments et techniques, notamment pour l’irrigation), la croissance de la production agricole dépend pour beaucoup de l’extension de la surface en culture, notamment grâce à l’irrigation de nouvelles terres. Le rôle du pouvoir central, avec la construction de grands canaux irriguant de nouveaux espaces, est donc important pour cela, même si les aménagements hydrauliques sont surtout gérés au niveau communautaire (voir plus haut). Mais le problème récurrent de la Mésopotamie antique, notamment dans sa partie septentrionale, est le manque d’hommes. C’est en partie pour cela que les royaumes mésopotamiens, surtout l’Assyrie, eurent l’habitude de déporter des populations pour mettre en valeur de nouvelles terres. En Mésopotamie antique, on ne manque pas de terres, mais plutôt d'hommes[8]. Mais quand la stabilité des structures sociales et économiques était préservée sur une longue durée, la croissance de la production et de la population pouvait être importante, et alors la basse Mésopotamie devenait l’une des terres agricoles les plus riches du monde antique, comme c’est le cas aux Ve et IVe siècles, et en gros dans la seconde moitié du Ier millénaire, comme en témoignent les auteurs grecs de cette période.
Structures de la production agricole [modifier]