http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/opinion/20080116.OBS5540/le-dalai-lama-je-suis-un-marxiste-en-robe-bouddhiste.html
Dalaï Lama.- Non. Mais je pars du fait que la majorité des 6 milliards d’humains sont des non-croyants. Nous devons donc trouver le moyen de toucher ces personnes et susciter leur attention sur l’importance de la compassion. Cela ne peut être que laïc. Notre expérience courante, le bon sens et aussi les dernières découvertes scientifiques nous disent qu’une attitude compassionnelle est bénéfique à notre bien-être physique. C’est donc une approche laïque. Ces valeurs dénuées de croyance religieuse, c’est une éthique laïque. Mais si on veut être réaliste, il faut trouver le moyen de promouvoir ces valeurs humanistes auprès des non-croyants. Et voyez la constitution indienne, fondée sur le sécularisme. Le Mahatma Gandhi croyait profondément dans le sécularisme, tout en étant lui-même un croyant, et pratiquant quotidiennement des prières issues de différentes traditions. Le sécularisme signifie le respect de toutes les religions, pas de préférence pour celle-ci ou celle-là. Si par exemple moi en tant que bouddhiste, j’affirmais que seul le bouddhisme est bon, que les autres religions sont mauvaises, ce serait contraire à la laïcité. Si vous croyez vraiment à la laïcité, vous devez respecter toutes les autres traditions, parce que des millions de personnes suivent ces traditions. Puisque nous devons respecter tous les êtres humains, l’humanité entière, il faut donc respecter leurs conceptions et leur foi. Y compris les non-croyants. C’est également leur droit de ne pas croire. C’est OK, puisqu’ils se sentent plus à l’aise ainsi.
N.O.- C’est pourquoi les non-croyants vous aiment. Vous leur reconnaissez une place… Ma dernière question est en deux parties : Si vous aviez quelque chose à dire aux Occidentaux, personnellement, que leur diriez-vous ? Et aux Chinois ?
Dalaï Lama.- Je ne considère pas qu’il y ait beaucoup de différences entre les Occidentaux et les Orientaux. Il y a des problèmes émotionnels ici, mais vous avez la même chose en Asie. (Rire) On dit que les Asiatiques sont plus religieux, les Indiens par exemple, mais il y a tout de même beaucoup de problèmes émotionnels. Dans l’Ouest, il y a le matérialisme, il y a ce que la science aurait apporté à la société occidentale. Mais ça aussi, ce n’est que partiellement vrai. Donc, je ne considère pas qu’il y ait de grosses différences. Ce que je dis aux Asiatiques, je le dis aussi aux Occidentaux. Nous sommes tous les mêmes êtres humains, on a le même corps, le même esprit, les mêmes émotions, les mêmes problèmes. Naissance, mort, et toutes sortes d’événements non-désirés, partout c’est pareil. Mais je précise toujours que les valeurs matérielles ont une limite. Dans les deux derniers siècles, les gens se sont concentrés sur le développement matériel et tous les gouvernements se sont focalisés sur la planification économique. Personne n’a songé à programmer une éducation morale. C’est ce dont nous avons besoin. L’éducation moderne est toute entière à propos de développement matériel. C’est ce que j’essaie toujours de partager avec les gens : en dernière analyse, la vie heureuse, l’esprit heureux viennent de l’intérieur, pas de l’argent, du pouvoir, ni de je ne sais quel avantage. C’est une perspective plus holiste, plus large, qui peut nous rendre plus réaliste. Et aussi de croire, de prendre conscience de ce que les événements d’aujourd’hui sont dus à des causes passées. Quand ces causes sont pleinement actives, les conséquences ne peuvent être évitées. La tragédie tibétaine ressemble beaucoup à cela.
Dalaï Lama.- Oui. Les générations précédentes ont vraiment négligé ce qu’était tout simplement la réalité : la réalité du monde, du XXème siècle. Quant au public chinois, je voudrais leur dire qu’ils sont une grande nation. Avec leur longue histoire, leur héritage culturel sophistiqué, leur nombre qui en fait la nation la plus nombreuse. Ils ont un rôle important sur cette planète. Pour remplir ce rôle effectivement, il y a toutes sortes de comportements qui devraient être réalistes et honnêtes. Et puis le bouddhisme n’est pas étranger aux Chinois. Le bouddhisme était installé en Chine avant qu’il ne touche le Tibet. Il y a des milliers et des milliers de temples bouddhistes en Chine. Le bouddhisme peut certainement les aider à donner du sens à la vie. La valeur de la famille, la valeur de la communauté. C’est ce que je leur dis souvent.