Les ziggurats de la Troisième dynastie d’Ur [modifier]
Que les rois de la Troisième dynastie d'Ur (XXIe siècle) soient les initiateurs des ziggurats ou non, cette époque est en tout cas décisive pour le succès futur de ce genre de constructions[8]. C'est en effet à partir des débuts de la Troisième dynastie d'Ur que les grands centres cultuels de basse puis de haute Mésopotamie sont tous dotés progressivement de ces édifices qui sont conçus selon un même modèle, bien qu'ils ne soient pas strictement identiques. A partir de ce moment, toute grande ville mésopotamienne a sa ziggurat, monument qui semble indispensable à son prestige.
Ces constructions ont apparemment été initiées par le fondateur de la dynastie, Ur-Nammu (2112-2094), et poursuivies par son fils et successeur Shulgi (2094-2047). Quatre ziggurats au moins ont été construites, dans les principaux centres religieux du pays de Sumer, d'où provenait la dynastie : Ur, Uruk, Eridu et Nippur (peut-être aussi une autre à Larsa). Ces édifices sont construits selon le même principe : trois terrasses empilées qui supportent un temple, auquel on accède par deux escaliers latéraux parallèles à la base et un grand escalier central perpendiculaire, mais leur orientation est différente. Elles sont dédiées aux divinités tutélaires de ces cités. Ces constructions ont nécessité la mise au point de nouvelles techniques de construction, et la mobilisation de nombreux travailleurs. Cela s'inscrit dans la politique de grands travaux mis en œuvre par les souverains de ce véritable Empire dominant alors toute la Mésopotamie, et servi par un appareil bureaucratique et une foule de dépendants qui atteint des quantités jamais atteintes auparavant. Cela explique pourquoi ces quatre ziggurats sont construites selon un même modèle presque standardisé, en quelque sorte « en série ». L'édification de ces ziggurats sous cette dynastie est un moment-clé de l'histoire de l'architecture mésopotamienne.
Après le XVIIIe siècle, les rois de Babylone qui sont les nouveaux maîtres du sud mésopotamien en bâtissent une dans leur capitale ainsi que dans les villes voisines de Sippar (à Abu Habbah, le sanctuaire du dieu-soleil Shamash), Borsippa et peut-être Kish. Les ziggurats des rois d'Ur sont toujours entretenues.
Le modèle des ziggurats se répand vers le nord de la Mésopotamie. Une ziggurat est construite à Tell Rimah (sans doute l'antique Qattara) et à Assur pour le dieu tutélaire de la ville, Assur. Il y en a peut-être une autre à Tell Leilan (Shekhna/Shubat-Enlil). Durant la seconde moitié du IIe millénaire, de nouvelles ziggurats sont bâties, alors qu'on continue d'entretenir les précédentes. En Babylonie, un des deux rois kassite nommé Kurigalzu (sans doute le premier) en érige une dans sa nouvelle capitale éponyme, Dur-Kurigalzu (Aqar Quf)[9]. En Assyrie, deux ziggurats sont bâties dans le temple double d'Anu et Adad à Assur (ce qui fait en tout trois ziggurats identifiées par l'archéologie dans cette ville), et une autre à Kar-Tukulti-Ninurta, capitale fondée par le roi éponyme durant la seconde moitié du XIIIe siècle. Au même moment, on en construit une dans le royaume élamite (dans le sud-ouest de l'Iran actuel), dans la nouvelle ville fondée par le roi Untash-Napirisha, Dur-Untash (Chogha Zanbil)[10]. Les dernières nouvelles ziggurats sont l'œuvre de deux rois assyriens de la première moitié du Ier millénaire, eux aussi fondateurs d'une nouvelle capitale pour leur royaume. Assurnasirpal II en fait bâtir une à Kalkhu (Nimrud) vers 870, et Sargon II à Dur-Sharrukin (Khorsabad) à la fin du VIIIe siècle. On sait par les textes qu'il existait des ziggurats dont on n'a pas retrouvé les traces, même sur des sites fouillés comme Suse et Ninive. Il y en avait aussi sur des sites non identifiés, comme Akkad. On dispose de deux tablettes faisant la listes des ziggurats qui existaient, dont les exemplaires datent de la période néo-assyrienne et de la période néo-babylonienne, mais qui sont probablement des copies de tablettes plus anciennes[11]. Elles listent respectivement 22 et 23 ziggurats (dont plusieurs pour un même site, notamment Nippur où ce n'est pas confirmé par l'archéologie) pour les sites de basse Mésopotamie uniquement. En haute Mésopotamie, une inscription du roi assyrien Salmanazar Ier (1275-1245) commémore la restauration de plusieurs temples dont des ziggurats, parmi lesquelles celles dédiées à Ishtar à Arbelès (Erbil) et à Talmushshu (localisation inconnue), pour lesquelles on ne dispose pas d'autres attestations[12]. Il pourrait donc en tout y avoir eu une trentaine de ziggurats construites en Mésopotamie et en Élam entre la fin du XXIe siècle et le VIIIe siècle, en sachant qu'il pouvait en exister d'autres dans des sites non fouillés et non attestées par les textes. De plus, il y a parfois des divergences chez les archéologues pour savoir si la construction en présence est une ziggurat ou un temple sur terrasse, type de construction dont la tradition se poursuit après l'édification des premières ziggurats, et qu'il est parfois difficile de distinguer des ziggurats, d'autant plus qu'on ne sait pas si les Anciens le faisaient et qu'il n'y a pas de définition stricte de ce type d'édifices permettant de distinguer clairement l'un de l'autre (chaque ziggurat étant de toute manière un temple sur terrasse). La plupart des grandes ziggurats sont restaurées voire agrandies par les souverains Assyriens et Babyloniens de la première moitié du Ier millénaire. La ziggurat de Babylone, Etemenanki, remaniée entre le VIIe siècle et le début du VIe par les rois assyriens Assarhaddon et Assurbanipal puis les babyloniens Nabopolassar et Nabuchodonosor II, marque l'aboutissement de ce type de constructions[13]. Les ziggurats continuent à être entretenues au moins jusqu'à la chute du royaume de Babylone en 539, le dernier héritier de la longue tradition des constructions monumentales typiquement mésopotamiennes. Elles sont progressivement tombées en ruine durant l'Antiquité et leurs briques ont souvent été utilisées comme matériaux de constructions par les populations vivant à leur proximité. Cela n'a pas empêché certaines ziggurats de rester encore impressionnantes malgré l'épreuve des siècles (à Ur, Dur-Kurigalzu, Chogha Zanbil), tandis que d'autres ont totalement disparu (Ninive, Suse). Le nombre d'étages que comportaient les ziggurats est souvent débattu. Il y en avait trois sur les premières construites au temps d'Ur-Nammu. La ziggurat de Babylone en comportait sept, ce qui semble être le maximum. Pour les autres, on est souvent dans le doute. On ne peut donc pas savoir quelle était la hauteur atteinte par ces édifices. Les ruines de celle de Dur-Kurigalzu atteignent encore 57 mètres de haut. Celle de Babylone aurait eu une hauteur de 90 mètres si on se fie à la Tablette de l'Esagil, document comprenant la description des dimensions de l'édifice[17]. Mais la fiabilité de ce texte est remise en cause, étant donné qu'il semble plus donner des chiffres symboliques car son but est d'expliquer la fonction cosmologique de l'édifice et pas forcément de le décrire tel qu'il est réellement[18]. Ce qui explique pourquoi la hauteur de la ziggurat de Babylone est discutée[19]. Le dernier étage des ziggurats comprenait un temple, le plus souvent appelé gigunû[20], ou kukunnu en Élam, rarement bīt ziqqurati (« temple (litt. maison) de la ziggurat »). Tous ont disparu, et le seul moyen d'avoir des informations sur ces édifices est de se reporter aux rares représentations de ziggurats dont on dispose, ou bien aux informations relatives à la ziggurat de Babylone au Ier millénaire, contenues dans des textes babyloniens et la description d'Hérodote, tous sujet à caution. Selon la Tablette de l'Esagil, ce temple mesurait 25 x 24 mètres, et aurait atteint 15 mètres de hauteur. On y accèdait par des portes situées sur chacun de ses côtés, qui donnaient accès à six cellae disposées autour d'une cour centrale couverte. Il fut bâti avec des poutres de cèdre, et ses murs extérieurs étaient recouverts de briques à glaçure bleue. Hérodote dit qu'on n'y trouvait pas de statues, ce qu'infirment les sources babyloniennes. On y trouvait également le riche mobilier des dieux, comme dans un temple normal. Une image de la ziggurat de Suse sculptée sur un bas-relief de Ninive montre que le temple supérieur était décoré par deux paires de cornes de cuivre sur au moins un de ses côtés, symbolisant sans doute la divinité comme les tiares à cornes dont étaient coiffées les divinités mésopotamiennes. L'édifice dans la ville [modifier] Comme les principaux monuments construits par les Anciens mésopotamiens, la ziggurat est localisée dans une ville. Elle fait généralement partie du quartier central de la cité, où se trouvent ses principaux édifices politiques et religieux. Plus précisément, elle se situe souvent dans un véritable « quartier sacré », à proximité du temple principal de la divinité tutélaire de la cité et des résidences des principaux officiants du temple. Le tout forme un véritable ensemble, avec des magasins, cuisines, et services administratifs. Comme les temples principaux, les ziggurats sont généralement isolées du reste de la ville par une enceinte délimitant un périmètre sacré, auquel seul le personnel cultuel avait accès. Il ne s'agit donc pas d'édifices ouverts. À Ur, cette enceinte clôt un espace de 140 x 135 m bâti sur une terrasse artificielle. A Babylone, ses côtés font environ 400 mètres. Le cas des deux ziggurats jumelles du temple double d'Anu et d'Adad à Assur, comprises dans une seule enceinte intérieure, est unique. Mais il semble que plusieurs villes aient disposé de plus d'une ziggurat, si l'on se fie aux Listes de ziggurats évoquées précédemment. Par sa masse et son élévation, et malgré son isolement dans une enceinte, la ziggurat devait dominer la ville dans laquelle elle était bâtie. En basse Mésopotamie, le relief plat devait la rendre visible à des kilomètres. En haute Mésopotamie, où le relief est plus irrégulier, la ziggurat est bâtie sur les acropoles qui constituent le quartier principal des grandes villes. Elle surplombait donc le reste des constructions, a fortiori quand elle était située près du rebord de la colline, comme à Kalkhu et Assur (pour la ziggurat principale). Les ziggurats étaient donc des éléments marquants du paysage urbain des grandes capitales et villes sacrées de Mésopotamie. Encore aujourd'hui, les ruines des ziggurats qui sont relativement bien conservées dominent les sites où elles se trouvent.