Autres perturbateurs endocriniens soupçonnés
Ils sont très nombreux: parmi les produits suspectés figurent : vinclozoline, zéaralénone, les dioxines, le polychlorobiphényle (BPC), des HAP, les furanes, les phénols, divers pesticides (dont organochlorés, tels que l’insecticide endosulfan, le DDT et ses dérivés).
De nombreuses études écotoxicologiques sur les organismes aquatiques, en particulier sur les mollusques et les poissons, ont montré que ces molécules pouvaient conduire jusqu'à l'imposex, c'est-à-dire le changement de sexe de l'animal. Les poissons sont souvent très sensibles aux contaminants de ce type : dans certains estuaires[29] de Grande-Bretagne ou en aval de stations d’épuration d'eaux résiduaires, on peut rencontrer des populations de poissons hermaphrodites. Chez des flets mâles vivant en milieu contaminé par des polluants hormono-mimétiques, des ovocytes apparaissent au milieu des spermatozoïdes.
Depuis plusieurs années, les chercheurs suspectent de nombreux composés chimiques d'être des perturbateurs endocriniens pour l'espèce humaine. Des méta-analyses publiées dans les années 1990 ont montré le déclin régulier de la qualité du sperme chez l’homme depuis 50 ans, en particulier en Amérique du Nord et en Europe. L’incidence du cancer du testicule augmente depuis plusieurs décennies dans un certain nombre de pays européens. Il y aurait une corrélation entre la présence de perturbateurs endocriniens et les malformations de l'appareil reproducteur, par exemple entre la présence de pesticides et la cryptorchidie ou entre des composés de type bisphénol A ou dioxines et l’hypospadias. Chez la femme, on constate des anomalies de la fonction ovarienne, de la fertilité, de la fécondation, de la gestation et de l’implantation utérine ainsi qu'un déplacement de l’âge de la puberté.
Les doses auxquelles les effets se manifestent peuvent être faibles : une ingestion par le rat de 20 microgrammes de bisphénol-A, un composé dont les éthers servent à protéger l'intérieur des boîtes de conserve, est suivie d'effets œstrogéniques.
Les modulateurs endocriniens peuvent agir in utero : à Seveso, il est apparu une prépondérance des naissances de filles parmi la population contaminées par la dioxine. Il a été montré que le DES était responsable de cancers de l'appareil génital et d'atteinte de la fertilité chez les hommes et les femmes exposés in utero. Le bisphénol-A et le diéthylstilbestrol (DES) provoquent une hypertrophie de la prostate des souris exposées in utero.
La synergie résultant des interactions entre xénobiotiques, micro-nutriments et médicaments peut aggraver les effets : l'exposition simultanée de la femelle immature à des faibles doses de flavonoïdes et d’œstradiol se traduit par un fort effet œstrogénique.
Comme pour tout produit chimique, l'effet dépend de la dose ; ainsi, si l'activité œstrogènique du nonylphénol est un fait, le potentiel d'action est très faible en comparaison avec les œstrogènes naturels : une étude de l'évaluation de risques sur les mammifères, préparée par la Commission européenne, a clairement indiqué que les effets dommageables résultant de la perturbation du système hormonal n'interviennent que pour des expositions nettement plus élevées que la toxicité générale. Pour les mammifères, le déclin de la population des phoques de la Baltique, exposés à des composés organochlorés (PCD et DDE) pourrait au moins en partie être expliqué par des perturbation des systèmes endocrinien et immunitaires. Chez les oiseaux contaminés par de faibles doses de DDT et/ou par des PCB, la coquille de l'œuf est amincie, et des anomalies de l'appareil reproducteur et congénitales sont plus fréquentes.
Études récentes
En Chine, une étude a montré une corrélation entre une sous-fertilité chez des hommes vivant à Hong Kong ayant consommé plus de quatre repas de poisson par semaine, qui ont aussi des taux de mercure plus élevés dans les cheveux (avec également des problèmes de peau et des autismes plus fréquent chez les enfants qui ont les plus haut taux de mercure (mesuré dans le sang, les cheveux et l'urine)[30].
Dans la réserve amérindienne d'Aamjiwnaang, au cœur de la « chemical valley » du Canada, on soupçonne des produits tels le mercure, les dioxines, l'HCB ou les PCB d'être à l'origine de la modification du sex-ratio constaté : une étude conduite par Constanze MacKenzie, de l'université d'Ottawa, a montré que le ratio à la naissance est passé de un garçon pour une fille en 1984 à un garçon pour deux filles en 1999. En outre, le taux de fausses couches est de 39 % contre 25 % habituellement et 23 % des enfants de moins de 16 ans souffrent soufrent d'ADHD (hyperactivité avec déficit d'attention), au lieu de 4 % habituellement.
Entre les années 1999 et 2001, une étude sur les effets d'un œstrogène synthétique sur des populations aquatiques ont été réalisés. L’expérience prend place sur un lac entier dans la région des lacs expérimentaux dans le nord-ouest de l'Ontario au Canada.
En 2000, 24 ans après l'accident d'une usine d'herbicides à Seveso (Italie), une étude a montré que les hommes exposés au nuage de dioxines ont eu deux fois plus de filles que de garçons.
En 2002, à Ufa (Russie), des chercheurs ont montré que les travailleurs d'une usine d'herbicides, contaminés par les dioxines, ont eu des filles dans les deux tiers des cas.
État de la recherche
Thème de recherche situé à la confluence de la biologie, de la chimie et de la médecine, l'étude des modulateurs endocriniens demeure en plein essor.
Des expérimentations sont en cours pour juger de l'effet des perturbateurs endocriniens sur l'homme — tels la diminution de la spermatogenèse ou l'augmentation de malformations génitales — et de l'incidence de l'épigénétisme sur la sensibilité de certaines populations. Dans les années 2000, la recherche a été élargie aux effets sur le système endocrinien et, notamment, la production d'enzymes responsables de la différenciation sexuelle.
L'expérimentation animale est employée afin de mettre au point des tests de toxicité dose-réponse permettant de différencier l'effet perturbateur de l'effet hormono-mimétique chez l'homme. Par exemple, des souris sauvages, aux réactions normales, et des souris transgéniques ArKo (Aromatase knock out) — qui présentent une déficience en œstrogènes — sont utilisées pour mesurer les effets de molécules à activité œstrogénique (féminisante) — tel le méthoxychlore, un insecticide organo-chloré — ou anti-androgénique (anti-masculinisante) — telle la vinclozoline, un fongicide. Les molécules qui présentent un effet œstrogénique in vitro (test de E-screen) font l’objet d’études in vivo sur des rats femelles immatures ou ayant subi une ovariectomie.
Quelques études in situ sont faites ou en cours, notamment sur les poissons (ex : chevaine ou épinoche à trois épines[31]) chez laquelle la spiggin est un biomarqueur d'exposition aux androgènes). La vitellogénine, qui indique une exposition à des œstrogènes mimétiques, est le biomarqueur le plus utilisé. Certaines études s'intéressent aussi aux effets de la métabolisation des polluants organiques, du stress oxydant et de la neurotoxicité de certains perturbateurs, ou à d'éventuelles synergies. L’activité aromatase devrait aussi être mesurée en France vers 2008 (chez le chevaine, l’épinoche..).
Parallèlement aux études in situ, les mésocosmes et les microcosmes constituent des modèles pertinents pour étudier l'effet de ces molécules dans l'environnement, notamment dans l'hydrosphère. Réalistes d'un point de vue écologique et contrôlables, les mésocosmes permettent d'évaluer les effets à long terme sur la biocénose et le devenir des substances chimiques dans le biotope. En 2004, l'OCDE a organisé une campagne internationale d'intercomparaison des méthodes d'analyse de la vitellogenèse chez le poisson-zèbre (Brachydanio rerio).
Comme exemple de biodétecteurs on peut faire appel à des cellules humaines (MCF7) en culture ou d’autres espèces, les rats de laboratoire, des levures, les bactéries, le poisson zèbre. Chaque biodétecteur a ses particularités et ses problèmes éthiques. Par exemple, les cellules humaines MCF7 sont utilisées comme biodétecteur de composés œstrogènes depuis presque 20 ans. Ces cellules sont dérivées d’un cancer du sein et elles ont gardé plusieurs caractéristiques comme le fait d’être stimulées par la présence d’œstrogène. Les œstrogènes, ou les substances qui les imitent, fonctionnent en activant une protéine réceptrice de la cellule, qui régule tout un jeu de gènes, il suffit de compter les cellules au bout de quelques jours pour déterminer leur présence.
Un autre test in vitro utilisé est basé sur une souche de levure possédant un gène exprimant le récepteur humain aux œstrogènes, dit YES (yeast estrogen screen). Les levures ont la capacité, par une suite de réactions enzymatiques, de produire la β-galactosidase qui transforme la couleur jaune de départ du mélange en couleur rose qui absorbe à 540 nm en spectroscopie ultraviolet-visible[32].
Plusieurs autres techniques d’extraction existent pour l’eau brute ou filtrée. L’eau peut être vectrice de perturbateurs endocriniens à double titre : les molécules qui sont les plus solubles ou les plus concentrées peuvent être entraînées sous forme dissoute. Pour ce qui est des molécules moins solubles ou répandues depuis un certain temps dans l’environnement, elles peuvent être associées à des particules de sol et des sédiments en suspension dans l’eau. L’estimation de la contamination de l’eau doit apparaître dans sa globalité. Finalement l’évaluation de la contamination de l’eau peut être envisagée sous l’angle de la concentration de l’eau en perturbateur endocrinien ou en termes d’exposition. Pour pallier la concentration, un préleveur automatique ou instantané (dit actif) peut être utilisé et pour déterminer l’exposition, aussi l’utilisation de capteurs passifs est possible.
États-Unis : Par exemple, l’EPA (Agence de protection de l’environnement des États-Unis) s’est donnée comme objectif de tester des milliers de substances chimiques différentes au cours des prochaines années pour en vérifier les effets endocriniens.
Canada : Des mesures d’alkylphénols polyéthoxylés entrant dans la composition de pesticides ont été prélevés dans plusieurs cours d’eau.
Suisse Au début des années 2000, le Conseil fédéral le Fonds national a lancé un programme de recherche en Suisse (PNR 50 visant à développer des stratégies pour évaluer les risques et dangers de l’exposition du vivant aux perturbateurs endocriniens, pour 2001-2007 ; 17 projets subventionnés en 2001, et 7 autres en 2003, ayant abouti à des conclusions et recommandations pour les autorités et les industries, afin de limiter les effets négatifs de ces substances et des futurs composés développés.
France : Un « Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens » a été lancé en 2005, en lien avec l’ANR et l’AFSSET, suite aux recommandations du Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP) consécutive à une saisine sur les perturbateurs endocriniens (conclusions publiées en décembre 2003 ), ainsi qu’à l’annonce faite en juin 2004 par monsieur le ministre en charge de l'Environnement S. Lepeltier. Un nouvel appel à projet a été lancé mi-2008 ciblant des « questions orphelines », dont celle des impacts sur fonction thyroïdienne ou le système immunitaire.
moyen terme, l'UE veut contribuer à identifier et évaluer les perturbateurs endocriniens, développer des produits de substitution et des tests capables d'identifier les PE, notamment via le cinquième programme-cadre de recherche et développement et les initiatives privées.
À long terme, l'UE veut adapter/modifier la législation pour prendre en compte les PE, notamment via le Règlement (CEE) n° 793/93 concernant l'évaluation des risques et la directive 67/548/CEE concernant la classification des substances dangereuses. Le bon état écologique prévu par la Directive cadre sur l'eau doit intégrer les aspects PE.